Exposition du 27 janvier au 10 mars 2018
L’exposition Territoires Partagés est organisée dans le cadre de la Résidence Recherche Photographique. Suite à un appel à projet une commission constituée de 9 professionnels de l’art se sont réunis pour évaluer et départager les dossiers.
Samuel HENSE a été retenu pour participer à la Résidence en février 2018.
Il était intéressant de noter que les quatre dossiers finalistes comportaient tous une réflexion sur des territoires. L’exposition collective de ces quatre artistes invite à des approches variées et singulières dans la manière d’aborder l’identité du paysage. Alors que le travail d’Alban LECUYER interroge la relation entre une population et sa ville, représentation de la pression du marché immobilier faisant fi des dernières traces encore présentes du passé de Phnom Penh, Samuel HENSE nous propose un travail propice aux rêves et à un retour au monde de l’enfance. Trace d’une architecture faisant échos aux forteresses, à l’appropriation éphémère d’un territoire, l’enfant architecte, châtelain en transit. Sébastien PAGEOT s’amuse à son tour dans le paysage et avec les regardants en leur proposant des aménagements en trompe l’œil du territoire dans sa série SEASIDE. On ressent dans la photographie de Daphné BOUSSION une certaine urgence merveilleuse à capturer la mélancolie, à enregistrer sur la surface sensible les détails, les couleurs d’un paysage.
Pour cette exposition collective Territoires Partagés, HASY interroge la représentation et les façons d’appréhender les territoires.
Alban LECUYER
THE GRAND OPENING OF PHNOM PENH
“L’idée même de la ville devait disparaître”
Cambodge année zéro, François Ponchaud
Phnom Penh offre l’exemple unique, à l’époque contemporaine, d’une capitale presque entièrement vidée de sa population. Immeubles laissés à l’abandon, circulation interdite, écoles et espaces publics transformés en terres agricoles : de 1975 à 1979, le régime khmer rouge prône la domination des paysans sur le « peuple nouveau », des campagnes sur la ville jugée décadente, et tente d’instaurer une société égalitaire et rurale. Devenue inutile, Phnom Penh plonge dans le silence et disparaît symboliquement de l’espace cambodgien.
Quarante ans plus tard, les réclames des promoteurs ont remplacé la propagande communiste. Les populations ne sont plus déplacées pour des raisons idéologiques mais sous la pression du marché immobilier. Aux foules horizontales condamnées aux travaux forcés dans les champs, les chantiers du développement économique ont substitué une occupation verticale du territoire. Dès lors, quelle forme le récit de l’urbicide, cette volonté de détruire et de nier toute urbanité, peut-il prendre dans une capitale en pleine effervescence ? Quelle place la ville en évolution accorde-t-elle aux traces visibles et invisibles du passé ?
The Grand Opening of Phnom Penh convoque les réminiscences accidentelles d’une histoire encore douloureuse et peu formulée en documentant les figures ambivalentes qui animent l’espace public – la précipitation, la disparition, le frottement, la tension entre les corps. La ville en arrière-plan se soustrait de nouveau au regard, désormais dissimulée derrière les filets d’échafaudages et la toile désordonnée du réseau électrique. Le vide et le recouvrement, répliques inconscientes des interventions du Land Art, dessinent ici les motifs d’une architecture nouvelle, abstraite et éphémère, qui obstrue les béances de la mémoire collective pour les dévoiler davantage.
À l’heure où la capitale cambodgienne peut enfin se projeter dans l’avenir des métropoles asiatiques, l’inertie du paysage pose en creux la question de l’identité. Identité d’une ville à la morphologie incertaine, encore en instance d’advenir ; identité de l’individu confronté à une esthétique de la multitude et de la saturation du champ de vision.
Ce travail a été réalisé en résidence pour l’Institut français du Cambodge.
Daphné Boussion
Augures, 2016
D’une image à l’autre, il semblerait que quelque chose se soit passé, mais cet événement est représenté sans surcharge documentaire : car l’image ne s’encombre que de très peu d’informations. La technique elle-même est simple. Daphné Boussion utilise un boîtier 24x36, appareil léger, qui lui permet une déambulation libérée du poids de la machine. Quant au geste, il est fragile : la prise d’image a quelque chose de grave, saisissons les choses avec prudence. L’artiste explique qu’elle photographie très vite, peut-être pour se protéger de l’inquiétude de l’endroit, ou alors pour continuer d’avancer et poursuivre sans fatigue l’état des lieux. Ses images, contrairement à d’autres travaux contemporains dont le sens est à découvrir dans l’extension théorique des spécialistes (souvent ignares dans l’histoire du médium), ne proposent aucune démonstration : elles questionnent humblement les fruits d’une enquête.
Extrait d’un article paru dans le Journal Sous Officiel N° 21 Automne 2004
Texte de Amaury da Cunha Photographe et écrivain
Daphné Boussion est diplômée de l’école des beaux-arts de Marseille et des universités Paris 8 et Aix-Marseille 1. En 2004, elle obtient le prix de la photographie au 49e salon de la Ville de Montrouge. Ses photographies sont présentes dans plusieurs collections privées et publiques notamment le fond municipal d’art contemporain de la ville de Marseille. Après Paris et Marseille, elle vit et travaille actuellement à Nantes.
De vanité en vacuité, ses images souvent désolées et quelques fois floues, font écho à la nature parfois mélancolique de la photographie.
Sébastien PAGEOT
SEASIDE
Seaside, ou comment l’homme s’approprie le littoral.
Ultime limite entre la terre ferme et le large, cette zone est le lieu de nombreuses activités humaines (habitation, zone de loisirs, activités économiques diverses…). L’homme s’empare de ces zones, souvent fragiles, et y marque son empreinte à l’aide d’aménagements et de constructions. Pour cette série, je me suis attaché à la création d’un inventaire de ces signes que l’homme imprime à son environnement naturel. J’ai utilisé pour la création des « Seaside » deux matériaux. Premièrement le papier, le carton. Ainsi, j’ai fabriqué de petites maquettes, simulacres de ces tentatives humaines de domestiquer l’environnement. Puis, j’ai utilisé la mer, le paysage naturel, afin d mettre en scène les petites constructions précitées. La maquette est ainsi photographiée dans un décor naturel, un bord de mer ici vierge de toute construction humaine.
Samuel HENSE
Petits et Grand
«On serait des aventuriers et ça serait notre maison.» Qui n’a pas entendu des enfants, de leur cabane de draps ou de branches à travers lesquelles ils se croient invisibles, refaire le monde ? Endroit propice au rêve en effet que cet espace à soi, ce creux intime dans l’immensité d’un paysage.
En construisant leur cabane, les enfants s’approprient un territoire. Ils se servent des matériaux alentours, s’appuient sur un tronc, déplacent des pierres et en font le foyer imaginaire de leur nouveau monde. Une plume et nous voilà chez les Indiens d’Amérique. Un bout de bois devient porte-drapeau et la cabane se fait forteresse. Utilisant ce qui leur tombe sous la main, rapatriant de la maison un reste de clôture ou un élément familier, les enfants sont les architectes les plus inventifs.
Près d’une aire de pique-nique ou enfouie loin des sentiers, leur maison, qui ne répond à aucune norme de construction, rappelle pourtant la présence de l’homme dans un territoire préservé, qui reprendra bientôt ses droits. D’une saison à l’autre, la plupart des cabanes disparaissent, mais certaines survivent à l’abandon de leurs bâtisseurs, parfois reprises et transformées par les aventuriers suivants. Autant d’histoires qui flottent encore sur ces constructions, maisons d’un après-midi ou d’un été, lieux vers lesquels s’échappent peut-être encore les pensées d’enfants devenus grands.
Texte de Pascaline Vallée